Cependant, la composante cisaillante et la composante perpendiculaire (fermeture) de la déformation des quadrangles modélisés sont équivalentes, et l'épaisseur de la surface de décollement a diminué d'environ 30 cm (Tab. Table 9.4). Il est donc nécessaire de justifier cette perte de volume : le sill a-t-il subi une contraction thermique ? Une partie du magma du sill s'est-elle injectée ailleurs ? La composante en fermeture de la déformation est probablement trop importante et trop rapide pour être explicable par la contraction d'un sill en cours de refroidissement. De plus, la déformation modélisée concerne la période post-éruptive, période durant laquelle aucune sortie de magma vers la surface n'a été enregistrée. La perte de volume du sill est trop importante pour être expliquée par une vidange, contrairement à ce que l'on observe durant la phase syn-éruptive. D'autre part, les sills observés au Piton des Neiges par [Famin et Michon (2010)] sont parfois mylonitisés. De plus, ces derniers ont observé quelques pseudotachylites au-dessus de cette pile de sills, roches partiellement fondues sous l'effet d'une déformation rapide ou s'étant produite sous une épaisse couche de roches. Les sills observés au Piton des Neiges se seraient donc mis en place en profondeur, alors que les modélisations des déplacements post-éruptifs tendent à montrer la présence d'un plan de glissement très superficiel. Enfin, le plan de glissement que nous modélisons se trouve à une altitude proche du plancher de la plaine des Osmondes : si ce plan correspondait à un sill, une fissure éruptive se serait plus facilement ouverte dans la plaine des Osmondes qu'au niveau du rempart du Tremblet.
À partir de données géoélectriques et de modèles numériques, [Join et al. (2005)] ont montré que la principale partie du réseau hydrologique du Piton de la Fournaise est peu profonde. Une nappe superficielle, approximativement parallèle à la topographie, assure la plus majorité des transferts hydrologiques : l'eau de pluie ruisselle en grande partie sur un niveau imperméable proche de la surface avant de rejoindre la mer. La pluviométrie pouvant atteindre 10 mètres par an au Piton de la Fournaise, de grandes quantités d'eau empruntent ce réseau superficiel. Ce ruissellement peut ainsi accélérer l'altération des roches. Ce processus assurerait donc le développement d'un niveau de roches altérées et poreuses au dessus d'un niveau argilisé et imperméable, pouvant contenir de grandes quantités d'eau.
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En glissant sur ces deux niveaux, le flanc est les comprimerait : l'eau pourrait alors être extraite du niveau poreux par une migration et une réduction de la porosité, expliquant ainsi la perte de volume et la fermeture de la source que nous modélisons (Fig. 9.6). Si l'on considère que seule l'extraction d'eau est à l'origine de la perte de volume du plan de glissement pendant la période post-éruptive, la quantité d'eau extraite correspondrait à une pluviométrie de 0.3 mètres par mètres carrés et par an. Cette quantité est presque négligeable par rapport à la pluviométrie annuelle au Piton de la Fournaise. En revanche, le glissement de flanc durant la période syn-éruptive a provoqué des déplacements très importants sur une durée courte (moins d'un mois). Le niveau altéré aurait alors été beaucoup plus fortement comprimé que durant la période post-éruptive, libérant une importante quantité d'eau.
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Durant la période s'étalant du 5 au 9 avril 2008, de nombreux torrents ont été observés au niveau du rempart du Tremblet ainsi qu'au niveau de la Ravine Pont Rouge (Fig. 9.7-c-d). L'arrivée de magma chaud dans l'océan a provoqué une évaporation très importante de l'eau et le développement d'un cumulonimbus au-dessus du flanc ([Tulet et Villeneuve (2010)], Fig. 9.7-a-b). La condensation de l'eau dans le nuage serait ensuite à l'origine des fortes précipitations observées entre le 6 et le 7 avril, et par conséquent du fort ruissellement observé (N. Villeneuve com. pers.). Cependant, les bassins versants du Piton de la Fournaise sont petits, et le ruissellement s'arrête en général quelques heures après la fin d'un orage. Les torrents sont observés jusqu'au 9 avril, c'est-à-dire deux jours après la fin du maximum des précipitations. Ce délai paraît trop long pour expliquer la présence de ces torrents. Ces derniers pourraient être la conséquence de la forte compaction du niveau altéré, qui aurait pu libérer de grandes quantités d'eau. Ces deux hypothèses ne sont pas mutuellement exclusives, et les deux phénomènes ont pu avoir lieu de manière simultanée (Fig. 9.7-e).
L'hypothèse de la compaction d'un niveau altéré n'explique pas la similarité entre la position du plan de glissement et celle du réservoir temporaire au cours de la période post-effondrement. Cependant, un niveau ayant un comportement mécanique différent du reste de l'édifice peut influencer fortement la direction de propagation d'une intrusion [Gudmundsson et al.(2004,2006),Manconi et al.(2007)]. La présence du niveau argilisé pourrait être à l'origine d'une discontinuité dans le comportement mécanique de l'édifice. À la rencontre de la discontinuité, l'intrusion s'horizontaliserait et s'y propagerait. Cette hypothèse est compatible avec l'inflation visible sur les interférogrammes couvrant le début de l'éruption (période syn-éruptive, Fig. 7.8 page ).
Enfin, l'hypothèse du glissement du flanc sur un niveau altéré existant avant l'éruption n'explique pas la cause de sa déstabilisation. Cependant, les données GPS suggèrent que le glissement a commencé le 30 mars, il pourrait donc être la conséquence de l'intrusion du 30 mars : cette dernière aurait déstabilisé le flanc est, le niveau argilisé servant de surface de décollement. De plus, la mise en place du réservoir aurait pu faciliter le glissement du flanc, de la même manière que le proposent [Famin et Michon (2010)] pour les déstabilisations provoquées par des sills au Piton des Neiges.
kunos 2014-07-01